Friday, June 18, 2010

De mon ami Joseph

La réalité est bien triste à voir. Mais c'est une réalité que j'ai connue jusqu'à 1967, année de mon exil. Liban éternel! Immuable plutôt dans sa profonde, très profonde, insondable injustice.
Joseph

MAGAZINE Le 09 juin 2010
10 400 km2 sans douceur de vivre
Les Libanais perdent à nouveau espoir de voir leur pays devenir un Etat véritable avec un gouvernement fonctionnant pour le bien commun de ses citoyens. Malgré quelques ministres parfois compétents et de bonne volonté, rien ne bouge dans notre République.
Un état délétère règne sur la société, au milieu d’une euphorie d’affaires peu communes dans les beaux quartiers de la capitale.
Faut-il évoquer l’enfer que vit le citoyen lambda. Celui qui ne vit pas dans un appartement super luxueux de 400 m2, où il ne se rend pas compte des coupures d’électricité ou d’eau et où il est protégé des bruits incessants des chantiers voisins et bien sûr de la chaleur et du froid; celui qui ne possède pas une énorme voiture qui l’isole de la fureur de la circulation; celui qui ne parvient pas à boucler ses fins de mois. Pour ce citoyen lambda, qui ne possède rien de tout cela, c’est en vain qu’il cherche la «douceur de vivre libanaise» que l’on chante tellement.
Oui, les 10 452 km2 du Liban contiennent un vrai Monte Carlo, le rêve de tant de Libanais! Notre Monte Carlo s’étend au maximum sur 40 ou 50 km2 des 10 452 km2, soit les beaux quartiers de la capitale et de quelques lieux de villégiature pour riches touristes arabes.
GEORGES CORM
Ancien Ministre des Finances Auteur de l’ouvrage Le Liban Contemporain, édition La Découverte
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Les autres 10 400 km2 sont à l’abandon, comme si la guerre vient à peine de s’y achever: maisons délabrées, entrelacements envahissants de fils électriques à fleur de rues et d’ immeubles, stationnement complètement anarchique, égouts à ciel ouvert, amoncelle ment de déchets non ramassés et non traités, coupures interminables de courant électrique et d’eau qui, lorsqu’elle se décide à couler dans le robinet n’est pas potable.
Anarchie inquiétante
Il y a un Liban de l’anarchie inquiétante: celle du bruit d’abord, le bruit des chantiers qui travaillent jour et nuit et même le dimanche sans aucun respect pour les nerfs des citoyens, le bruit des générateurs électriques, le bruit de la circulation et des avertisseurs; celle de la sauvagerie dans la façon de conduire sur les routes: chauffeurs de services en surnombre, épuisés de fatigue et de pauvreté et qui, pour survivre dans une chasse sans pitié au client, s’arrêtent en plein milieu de la route, sans crier gare, mais aussi motocyclistes hagards qui effectuent des livraisons de nourriture, sandwichs et repas cuisinés et à qui vraisemblablement la fatigue et une rémunération aux nombres de courses accomplies fait accomplir les imprudences les plus folles, laissant le conducteur, même le plus attentif, sur sa surprise, remerciant le ciel de n’avoir pas écrasé une victime.
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Vivre au Liban pour le citoyen lambda est une épreuve de nerfs continue. C’est aussi pour lui une épreuve financière: un coût de la vie qui n’arrête pas de grimper, des salaires plus que médiocres pour 85 ou 90% des fonctionnaires et des employés du secteur privé, des charges colossales pour permettre aux enfants d’aller dans des écoles ou des universités connues dont les diplômes permettent de trouver un emploi ou, à défaut d’émigrer, des charges locatives de plus en plus élevées et une accession à la propriété facilitée par les banques aujourd’hui, mais pour ceux qui disposent d’un revenu adéquat pour être solvables.
Un rêve: émigrer
Ai-je forcé la dose dans la description du Liban où il n’y a pas de douceur de vivre? Je ne crois pas: combien de jeunes Libanais ne rêvent que d’émigrer? Combien de Libanais qui ne survivent que par l’assistance de l’Etat, les œuvres de bienfaisance ou les pourboires des chefs de clan et les maigres avantages qu’ils peuvent tirer de devenir gardes de corps ou gardiens de sécurité? Non, vraiment je ne crois pas avoir forcé la dose. Mais le problème réside dans le fait que certains Libanais, notamment les plus puissants et les plus riches, vivent dans un cocon, isolé du reste de leurs concitoyens. Leur réveil pour ra être dur, un jour, s’ils s’obstinent à croire que le Monte Carlo libanais s’étend sur 10 452 km2 et s’ils ne voient pas la «yéménisation» ou la «soudanisation» ou – à Dieu ne plaise – la «somalisation» du reste du pays.
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Déjà, après le départ du président Fouad Chéhab, en 1964, notre élite libanaise avait refusé de voir les ceintures de pauvreté qui encerclaient Beyrouth de la «dolce vita». Nous l’avons payé bien cher.
L’histoire, dit-on, ne se répète pas. En fait, elle ne se répète jamais de la même façon; mais les mêmes causes produisent immanquablement les mêmes effets qui se manifestent d’une façon différente et imprévisible.
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